Volodymyr Kovalenko, un maire ukrainien sous occupation russe
Le maire ukrainien de Nova Kakhovka (région de Kherson, dans le sud) Volodymyr Kovalenko a quitté sa ville le 15 juillet. Pendant près de cinq mois, il a essayé de faire fonctionner les services de sa mairie et de répondre aux besoins des habitants malgré l’occupation par les forces russes. Il a accordé un entretien à Nicolas Feldmann et Aleksandr Bogdanov.
IM24 : Les forces russes sont entrées dès le 24 février dans Nova Kakhovka, mais vous n’avez quitté votre commune que le 15 juillet, soit près de cinq mois plus tard. Pourquoi avoir finalement pris la décision de partir ?
Volodymyr Kovalenko : Pendant près de 5 mois, j’ai eu l’occasion de résoudre les problèmes des gens restés dans la ville. Leur problème principal est qu’ils manquaient d’argent parce que dès le début, le système bancaire a cessé de fonctionner, en particulier les retraits d’argent liquide. Les retraités ne pouvaient plus retirer leurs pensions au bureau de poste ukrainien. Personne ne pouvait leur fournir cet argent. Je devais m’attaquer à ce problème. Il fallait aussi convaincre les entreprises de laisser ouverts leurs entrepôts, leurs épiceries pour qu’il y ait encore de la nourriture.On devait avoir des bénévoles pour assurer l’approvisionnement en médicaments. Le plus important à mon sens était de résoudre ces problèmes sans violer la loi ukrainienne, mais au bout d’un moment, j'ai réalisé que je ne pouvais plus travailler dans le respect de la loi. De plus, avec mon premier adjoint qui est resté à mes côtés tout ce temps, on a commencé à sentir des menaces pour nos vies. Alors, on a réalisé qu’on devait partir.
Comment avez-vous pu exercer votre fonction de maire pendant ces presque cinq mois sous occupation russe ?
Je travaille dans l’administration locale depuis 20 ans, j’ai donc de l’expérience. Dans la pratique, nous n’avons pas eu beaucoup de contact avec les autorités d’occupation. J’ai l’impression qu’elles n’ont pas tout à fait su comment gérer l’économie de la ville, je m’en suis donc occupé avec le pouvoir exécutif sur place. De nombreuses familles ont pu être réunies grâce à la mairie, je devais assurer avec les centres territoriaux les besoins des malades alités, des personnes seules. On faisait un travail du quotidien que les occupants ne pouvaient pas réaliser. J’ai vécu dans le territoire occupé pendant près de cinq mois, j’ai aidé les gens, mais je n’étais pas seul, j’avais avec moi mes adjoints, les services de la mairie. Sans eux, je n’aurais rien fait moi-même.
Dans plusieurs villes occupées d’Ukraine, on assiste à un processus de « russification ». Est-ce le cas à Nova Kakhovka, et si oui, comment cela se traduit-il ?
Pendant deux mois et demi à trois mois, nous avons eu les ressources nécessaires pour assurer les besoins des habitants, y compris ceux des plus âgés. Mais le moment est venu où les Russes ont créé leur propre système, à distribuer des pensions avec des montants de 10 000 roubles [environ 160 euros]. À partir de là, certains habitants, en particulier les plus âgés qui n’avaient plus de ressources, les ont acceptés. Il y a un mois ou un mois et demi, des rumeurs ont commencé à circuler sur la délivrance de passeports russes. Certains habitants se sont mis à commander des photos, à s’inscrire pour obtenir ces passeports. On a également entendu parler avec des directeurs d’écoles du fait que les enfants et les enseignants vont devoir se baser sur le programme d’éducation russe.
Les autorités ukrainiennes parlent ces dernières semaines d’une contre-offensive pour reprendre aux Russes la région de Kherson. Avez-vous observé des avancées sur le terrain ?
Nova Kakhovka est un point stratégique. On y trouve le canal de Crimée du Nord qui relie le fleuve Dniepr à la Crimée [annexée par la Russie en 2014]. Il y a aussi une centrale hydroélectrique. Il est clair que ces installations sont très importantes du point de vue de la libération du territoire ukrainien. Trois semaines avant le début de la contre-offensive, la ville était plongée dans un silence complet, mais à partir de juillet, et on a ressenti de la joie avec cette opération. Cela voulait dire que nous n’étions pas oubliés. Dans la région de Nova Kakhovka, l’armée ukrainienne a visé et détruit des cibles militaires russes.