Mobilisation partielle en Russie: l'incertitude et l'angoisse


 Le maire de Moscou a annoncé, lundi, la fin de la mobilisation partielle dans la capitale russe. Une annonce qui ne présage de rien pour la suite : la mobilisation partielle de centaines de milliers de réservistes pour combattre en Ukraine n'est pas achevée « pour le moment », affirmation du Kremlin ce mardi par la voix de son porte-parole. L'absence de perspectives de lendemain et l'inquiétude demeurent.


Ces images de Moscou lundi ont été regardées des milliers de fois : un commissariat militaire – c'est comme ça qu'on appelle les centres de mobilisation en Russie – et des visages fermés qui attendent leur tour pour être formellement enrôlés. Puis soudain : « C'est fini, vous pouvez rentrer chez vous », annonce un fonctionnaire. Annonce suivie de l'officialisation par le maire de la capitale russe : quota rempli, fin des opérations.

Sauf qu'en réalité, cette annonce n'a pas de valeur légale. Rappel du porte-parole du Kremlin ce mardi matin : la fin réelle, seul un décret présidentiel peut la proclamer. Concrètement, il est donc toujours possible de convoquer un Moscovite qui remplit les critères. Exemple récent qui plaide en ce sens : en Bouriatie à l'est du pays, le 30 septembre dernier, le responsable régional déclarait « les quotas sont remplis » ; puis, le 12 octobre, le responsable militaire annonçait un « petit recrutement supplémentaire ».

Vladimir Poutine a lui-même, vendredi dernier, évoqué la date butoir de la fin octobre pour la mobilisation. Mais tout le monde l'a en tête : la ligne de front n'est pas stabilisée. Cette question tourne dans toutes les conversations privées : et si une autre vague de mobilisation s'annonçait en novembre ou en décembre ? On se passe d'ailleurs ce conseil des rares organisations de la société civile encore autorisées sur le sol russe et des avocats spécialisés : que ceux qui ont fui ne rentrent pas, personne n'est à l'abri.

Pèse aussi dans ce climat déjà lourd cette autre possibilité : la loi martiale (et son corollaire, la fermeture des frontières). La possibilité d'y recourir a été votée en même temps que toutes les lois durcissant les peines pour refus d'enfiler un uniforme ou désertion sur le champ de bataille.

Climat lourd, avenir incertain ? En tout cas, depuis le 21 septembre et l'annonce de la mobilisation, dans tous les sondages, les Russes se disent désormais majoritairement anxieux et angoissés. Ceux qui sont au front parfois en veulent aussi à ceux qui refusent de les rejoindre ou ont les moyens de partir, « des métrosexuels qui ont fui en scooter », selon une blogueuse très en vue.

Un architecte de Moscou – il ne donnera pas son nom – a lui pris un billet d'avion pour un aéroport du sud de la Russie avant d'acheter un vélo. Caché à l'arrière d'un taxi qu'il avait payé pour éviter un contrôle trop poussé, puis à deux roues, c'est comme ça qu'il a franchi la frontière pour la Géorgie.

Après quatre jours de mauvais sommeil, il a rejoint d'autres jeunes hommes dans sa situation, « perdus, ne sachant quoi faire, changeant souvent de pays, essayant de trouver des options », mais décidés quoi qu'il arrive à ne pas revenir en Russie.

Ce rédacteur dans une agence de publicité au Kirghizistan décrit lui l'« état d'impuissance terrible » qui a suivi son sentiment de « terreur infernale » à l'annonce de la mobilisation partielle. « Ce qui se passe ne correspond pas à ce que doit être une vie normale », dit-il. Bichkek pour lui n'est qu'un refuge temporaire, car il travaille à distance dans son entreprise russe et ses employeurs, dit-il, « ont une attitude négative envers ceux qui sont partis ». Il ne sait pas combien de temps il pourra garder son emploi et donc ses revenus. De plus, explique-t-il via une conversation téléphonique tenue par messagerie cryptée, « j'ai une femme et un enfant, et je n'arrive pas à les faire sortir de Russie. C'est le sujet principal de mon tourment et de ma souffrance, ils me manquent. »

Jamais pourtant un doute ne l'effleure sur son choix. Pour lui, prendre les armes ne peut être justifié « que dans un cas : lorsque quelqu'un vous attaque et que vous défendez votre patrie et votre maison, sinon c'est monstrueux et contre-nature ».

Réfugié lui en Ouzbékistan, ce trentenaire moscovite vit mal ses relations avec ses proches.

C'est un très gros problème pour moi, ils n'ont pris conscience qu'il se passait quelque chose de terrible que lorsque la mobilisation a été annoncée. Avant cela, ils restaient dans la loyauté au pays. De tels moments sont très difficiles, quand on en est à se disputer avec ses parents, simplement parce qu'on leur dit que tuer des gens, c'est mal. Tout ça juste parce que leur passé est soviétique, qu'ils ont été élevés autrement. Moi, j'ai beaucoup d'amis ukrainiens et je ne peux absolument pas comprendre comment on peut prétendre résoudre des problèmes de cette manière. Au moins, j'ai pu jusqu'ici être épargné par tout ça. Je suis allé à des manifestations de protestation, même si on a bien vu que ça ne servait à rien. Mais lorsque la mobilisation a été annoncée, on s'est tous rendus compte qu'on pouvait être obligés de participer à ça, même si c'est quelque chose qu'on condamne absolument. La peur de mourir, c'est normal. Mais ce qui a été décisif pour moi, c'était qu'on puisse me forcer à me battre. Je ne suis pas ce genre de personne.

Ceux qui sont partis fin février-début mars regardent parfois ceux qui les rejoignent aujourd'hui avec distance. Pas cet ingénieur qui rêvait de faire carrière au Canada et qui vit aujourd'hui au Kirghizistan.

La première vague d'émigration, c'était des gens qui avaient des moyens et un travail qu'ils pouvaient faire à distance, des gens qui pouvaient partir sans perdre leur qualité de vie. Aujourd'hui, ce sont des hommes qui littéralement partent à toutes jambes. Ils courent et s'échappent pour sauver leur vie.

Lui est lui revenu en Russie revoir ses proches quelques jours avant la mobilisation, avant de quitter le pays à nouveau. En quelques mois déjà pour lui, le pays a profondément changé : « Les gens ont beaucoup plus peur, ils parlent le moins possible de tout ce qu'il se passe. Ils donnent aussi l'impression de s'être habitués à tout cela, comme si c'était normal que la Russie soit engagée dans un conflit armé. Les gens ne réagissent plus, en fait. »

Sans expérience militaire, et dans une défiance totale vis-à-vis des autorités, Danil en est convaincu : s'il rentre aujourd'hui en Russie, il peut être mobilisé n'importe quand.

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