Des centaines de Burundais ont tenté l’aventure : Le mirage européen via la route des Balkans
- Faim, fatigue, clandestinité… des centaines de Burundais bravent la mort en tentant de rejoindre l’espace Schengen via la Serbie. Ils ont investi beaucoup d’argent dans l’espoir d’un eldorado européen, mais le rêve a tourné au cauchemar.
Jusqu’au 21 octobre 2022, 68 Burundais qui se dirigeaient vers l’espace Schengen, via la Serbie, étaient déjà renvoyés et reçus à l’aéroport Melchior Ndadaye de Bujumbura, d’après le ministère de l’Intérieur, de la Sécurité publique et du Développement communautaire. La situation est devenue encore plus compliquée pour ceux partis pour la Serbie dans l'espoir de pouvoir se faufiler entre les mailles de l’espace Schengen, depuis que la Serbie a, officiellement, réintroduit les visas pour les Burundais. Renvoi, faim, fatigue, vie en clandestinité, … voilà ce qu’ont enduré ces aventuriers qui se sont lancés sur le chemin de l’espoir, après avoir investi des fortunes dans l’espoir d’un eldorado européen. Ceux qui sont déjà de retour au Burundi peinent à décrire ce qu’ils ont vécu. La déception est totale. « C’est une longue et douloureuse aventure. Je suis très déçu. Je ne vois pas par où pourrai-je commencer pour reconstruire ma vie », confie I.G, renvoyé de la Serbie, il y a quelques jours.
Ex-employé d’une Microfinance, il signale qu’en se lançant dans cette aventure, il s’attendait à un avenir meilleur : « J’ai presque tout vendu, mes biens, une parcelle de terre, espérant atteindre la Belgique. Et voilà, je me retrouve au point de départ, mains vides ».
Il était parvenu à atteindre la Serbie mais n’a pas eu la chance de sortir de l’aéroport pour continuer la route vers la Belgique. « Après avoir abandonné mon travail, j’étais parti à bord d’Ethiopian Airlines. Et en tout, jusqu’en Serbie, j’ai dépensé autour de 6000 dollars américains », confie-t-il. Une aventure très difficile, décrit-il : « Moi, je suis passé par Doha. C’est de là que j’ai pu arriver à Belgrade en Serbie. Moi, et mes amis, on n’avait pas de visa. Et nous avons été interpelés par les services d’immigration pour nous signifier que nous ne pouvons pas continuer notre trajet ».
Il affirme qu'avant d’être renvoyés, lui et d'autres Burundais avaient passé plusieurs jours retenus dans un "conteneur" de la police, affamés.
Sous couvert de l'anonymat, son compagnon lui aussi renvoyé au Burundi parle d’un vrai calvaire : « C’est difficile à décrire ce que nous avons enduré. D’abord, nous étions déjà fatigués. Le voyage est très long et c’était mon premier voyage à bord d’un avion. Le stress, la peur, la faim … Quand, les policiers nous ont interpelés, je me suis senti abattu. Nous avons essayé de négocier pour sortir de l’aéroport et poursuivre notre aventure, en vain ».
D’une voix tremblante, il raconte qu’il a directement pensé à l’argent investi dans ce voyage : « Pour partir, ma famille et des amis ont cotisé, parce que j’étais chômeur. L'aventure m’a coûté plus de 5500 dollars américains dans l’espoir de trouver du travail une fois arrivé en Europe ».
Ce jeune, la trentaine, pensait qu’en arrivant en Europe, il pourrait avoir du travail : « Je viens de passer quatre ans sans travail. J’ai terminé l’université et il m’a été très difficile d’être embauché. C’est pourquoi je m’étais lancé dans cette aventure espérant avoir des moyens de réaliser mes rêves. Et voilà, c’est la désillusion ».
- Des familles dans la tourmente
Beaucoup de familles n’ont pas de nouvelles de leurs enfants partis dans cette aventure vers l’Europe via la route des Balkans. « Quand nous sommes partis, il y avait beaucoup de Burundais à bord. Jusqu’aujourd’hui, certains sont toujours bloqués en Serbie, d’autres au Qatar. Il y a des familles qui n’ont pas de nouvelles des leurs », souligne I.G.
Thimothé Nivyayo, 65 ans a envoyé ses deux fils. Il s’inquiète pour eux : « C’est vraiment très difficile. Les informations qui viennent de là-bas ne nous rassurent pas. Ils me disent qu’ils sont bloqués en Serbie et qu’ils seront renvoyés au Burundi. En tout cas, je suis très inquiet. » Pour partir, il a dû vendre ses trois parcelles : « J’ai dépensé au moins 15 000 dollars américains pour les billets et l'argent de poche ».
A l’heure actuelle, ce qui compte pour lui c’est de revoir ses fils vivants : « Ils me manquent beaucoup. En acceptant qu’ils partent là-bas, je ne pensais pas qu’ils allaient se retrouver dans cette situation », regrette-t-il.
Alors que jusqu’au 21 octobre 2022, 68 Burundais qui avaient tenté l'aventure étaient déjà renvoyés, Pierre Nkurikiye, porte-parole du ministère de l’Intérieur, de la Sécurité publique et du Développement communautaire parle d'une centaine d’autres attendus à Bujumbura tandis que 15 autres devraient rentrer via Kigali.
Et le 22 octobre 2022, le même ministère a pris la décision d’interdire les départs des Burundais aux passeports ordinaires vers la Serbie, même les pays voisins, depuis l’aéroport de Bujumbura. « Ces Burundais sont invités plutôt à utiliser ces dépenses de voyage incertain dans des activités d’auto développement », a déclaré Pierre Nkurikiye.
- La Serbie revoit ses conditions d’entrée
Pour limiter le flux migratoire vers l’Europe, la Serbie a sorti un communiqué, le 22 octobre 2022, annonçant de nouvelles conditionnalités pour entrer sur son territoire en provenance du Burundi : « Pour les titulaires des passeports ordinaires ou d’autres documents de voyages, les ressortissants du Burundi qui n’ont pas obtenu de séjour temporaire ou de séjour permanent en République de Serbie, soit qui n’ont pas déjà reçu de visa D (visa pour un long séjour), lors de leur entrée dans la République, en plus de remplir les conditions générales d’entrée, doivent présenter d’autres documents additionnels ».
Et tout entrant doit présenter désormais, une lettre d’invitation certifiée (notariée) de la personne chez qui l’étranger vient en République de Serbie. Il doit avoir aussi une preuve de réservation payée d’un hôtel ou d’un autre établissement d’hébergement en Serbie, poursuit ce même communiqué qui exige aussi une preuve de la possession de fonds suffisants pendant la période du séjour prévu en Serbie.
« Le montant de 50 euros par jour de séjour est considérée comme des fonds suffisants, et la preuve des fonds suffisants est en espèce du montant spécifié ou un relevé d’un compte bancaire », précise ce communiqué.
Les concernés doivent se munir aussi d’une preuve d’assurance maladie payée en Serbie, soit la possession d’une police d’assurance maladie pour la période de séjour en Serbie pour le montant des frais médicaux qui ne peut être inférieur à 20 mille euros et la preuve d’un billet d’avion aller-retour payé, avec une date fixe de retour dans le pays d’origine ou d’entrée précédente.
Pour les titulaires de passeports diplomatiques ou de service, les visas restent non nécessaires pour les séjours jusqu’à 30 jours sur une période d’un an.
Mais bien avant la décision serbe, l'ambassade de Belgique au Burundi a lancé l'alerte dans une note rendue publique le 10 octobre 2022 :"La Belgique a constaté que des Burundais se rendent illégalement en Belgique via la Serbie et la Croatie", a-t-on écrit, annonçant que Bruxelles renvoie immédiatement ces personnes dans le premier pays où elles sont entrées en Europe en application du Règlement de Dublin.
Cette même note précise que les Burundais qui empruntent cette voie ne sont pas autorisés à séjourner en Belgique.
"Ne vous laissez pas abuser par des intermédiaires malhonnêtes ", indique l'ambassade de Belgique.